Comment rendre les villes plus attractives pour les femmes? De la signalétique à l’éclairage urbain, en passant par la programmation culturelle, Carmen Tanner, cosyndique d’Yverdon-les-Bains, place la question au cœur du débat
Dialectique.ca reprend ici un article d’Emilie Veillon, publié dimanche 12 septembre 2021 (et modifié lundi 13 septembre 2021) par le quotidien suisse Le Temps dans sa rubrique Société. Ce texte est en lien directe avec une série d’articles re-publiés en 2018 par dialectique.ca sur le même thème.
Place des grands hommes. Ce titre de Patrick Bruel résume bien la virilité qui a cimenté la construction des villes. Des statues de combattants aux noms de rue, en passant par les stades de football ou les terrasses de cafés, les espaces urbains sont encore trop peu anglés sur le point de vue des femmes. Dans le cadre du Forum des 100 qui se penche sur l’avenir des villes, la question de la place des femmes dans l’espace urbain sera abordée par l’exemple concret d’Yverdon-les-Bains (VD) en présence de la vice-syndique Carmen Tanner, chargée des Services de l’urbanisme, des ressources humaines, de la culture et de la durabilité.
Le Temps: Les villes dites intelligentes d’aujourd’hui sont encore pensées pour des figures masculines, comme l’homme d’affaires, l’épicurien ou le sportif. Moins pour les femmes seules, les mères avec poussette ou les personnes à mobilité réduite…
Carmen Tanner: Effectivement, même les villes connectées contemporaines sont encore construites principalement par et pour les hommes actifs. Mais cela va changer puisque le sujet est empoigné par de plus en plus d’administrations. J’aime bien le concept de ville attachante, plutôt qu’attractive ou intelligente: travailler sur le lien et la qualité, dans un élan plus sensitif qui englobe l’expérience, pour créer par exemple des ambiances dans lesquelles les femmes se sentent à l’aise de s’attarder.
Pourquoi les hommes ont-ils pris une telle place?
En partie à cause de la répartition traditionnelle des rôles: l’homme au front et la femme en retrait. Notre mode de vie nous a vouées à avoir une mobilité fonctionnelle, à traverser la ville au lieu de l’investir. Nous ne prenons jamais possession des espaces publics, à l’exception des parcs de jeux! On peut aussi faire l’hypothèse que tous les métiers techniques en lien avec le bâti sont des professions masculines et donc avec un regard orienté. Pourtant, les villes sont aujourd’hui utilisées par 50% des femmes, donc l’inclusion devient un réel enjeu de planification.
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Comment intégrez-vous concrètement la question du genre dans les projets urbains?
En début de législature, nous avons renouvelé les commissions techniques. J’ai demandé que toutes celles qui sont liées au développement de la ville soient égalitaires en proportions hommes-femmes pour que le regard soit partagé. Nous lançons des démarches participatives dans l’élaboration des nouveaux quartiers. Et nous prévoyons d’inclure les avis d’expertes de LARES, tout en intégrant au fur et à mesure le point de vue des habitantes.
L’une des premières étapes consiste à faire des marches exploratoires pour cerner les zones problématiques. Où en sont-elles à Yverdon?
Nous sommes en train d’en faire dans les quartiers existants pour améliorer et restructurer l’espace public. Dans une zone test, un sondage par internet a révélé que la moitié des femmes n’utilisait pas certaines contre-allées principalement pour des questions d’insécurité. C’est énorme!
Parmi les exemples considérés comme sexistes par les féministes, on trouve en tête les noms de rue ou la signalétique.
On ne peut pas renommer toutes les rues existantes. Mais nous avons le souhait d’avoir des rues égalitaires dans les nouveaux quartiers. Et puis le remodelage de la place d’Armes, une future place publique qui aura un rôle crucial dans la ville, sera aussi l’occasion de repenser son appellation, et là l’enjeu est de lui donner un nom plus inclusif et positif. Cela serait tout un symbole. Nous avons également des chantiers en cours dans plusieurs domaines, que ce soit une signalétique non genrée ou une salle d’allaitement à la bibliothèque publique. On veille par ailleurs à assurer une programmation égalitaire de nos lieux culturels communaux, tant au niveau des sujets traités que des personnes impliquées.
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Le partage plus égalitaire des équipements urbains passera selon le géographe français Yves Raibaud par une sensibilisation dès l’enfance. Selon lui, le terrain de foot pris d’assaut par les garçons au milieu de la cour d’école pousse les filles à adapter leurs jeux. Autrement dit, l es garçons sont au centre et les filles en périphérie.
L’un de nos projets phares de requalification de l’espace public concerne justement la refonte de toutes les cours d’école. Typiquement, on prévoit de donner moins d’importance aux jeux de balles. Dans la première cour que nous avons traitée, l’espace dédié qui prenait l’entier de la place auparavant a été transféré dans un espace réduit, en marge, sans le supprimer pour autant mais en lui donnant moins d’importance. Nous avons consacré l’espace principal à de petits jardins et à des jeux d’acrobaties. Dans le même sens, les places de jeux vétustes de la ville vont être rénovées de manière non genrée, dans le cadre d’une démarche participative avec les enfants et les familles.
La question de l’égalité gagne-t-elle à être traitée globalement au sein d’une commune, d’un Etat?
Absolument. L’un des outils pourrait être une commission interservice dans l’idée d’empoigner des politiques transversales, intersectorielles, avec des objectifs et un suivi pour que cette question soit thématisée par tout le monde. Imaginez, jusqu’à récemment certains documents administratifs étaient adressés seulement au chef de famille…